“Hush, hush Darling, don’t tell because it hurts”, Don’t speak, No Doubt.
Une sociabilité pour ne rien dire et des amitiés adolescentes
L’expatriation s’est traduite pour moi par la découverte d’un nouveau mode de sociabilité qui m’était totalement étranger. Cette forme est probablement plus familière pour les expatriés déjà issus de milieux bourgeois, où elle est davantage pratiquée notamment pour cultiver le capital social. Il s’agit d’interactions souvent assez brèves mais parfois répétées qui font que l’on connaît de très nombreuses personnes sans pour autant que l’on puisse les qualifier d’amis. Les occasions de ces échanges sont nombreuses : à l’école, dans des dîners privés, lors des activités organisées par les associations d’expatriés. On y rencontrera des personnes que l’on sera amené à recroiser à de nombreuses reprises sans pour autant tisser de véritables liens. On se saluera lors de la fête de l’école, on pourra situer cette personne quand un autre interlocuteur nous en parlera, mais rien de plus. Après quelques temps on sera même surpris de constater que l’on ne connaît pas untel, tant le spectre de ceux que l’on est capable d’identifier est étendu.
Quel est dès lors le contenu des interactions avec des gens que l’on ne connaît pas mais que l’on ne pourra ignorer? Il se doit d’être le plus neutre possible car on ignore bien des choses sur ses interlocuteurs et qu’il s’agit surtout de ne pas les froisser. Les mêmes sujets sans risques reviennent donc sans cesse : la sécurité dans le pays, les voyages (effectués et à venir), l’école et les enfants s’il y en a, les lieux où se procurer des produits français, les endroits de la ville à connaître…D’où le sentiment fréquent d’être piégé dans le film “Un jour sans fin” et de devenir une spécialiste du “small talk”. Finalement cette forme d’interaction polie parait de plus en plus creuse au fur et à mesure du temps et ne préserve en aucun cas d’un sentiment de solitude : d’où la nécessité de forger par ailleurs de véritables amitiés.
Cela suppose néanmoins un processus de tri à la fois rapide et violent. En effet lors de l’arrivée on est amené à rencontrer un très grand nombre de personnes en très peu de temps, bien davantage que dans notre vie normale. Par ailleurs le besoin de nouer des liens est immense et impérieux, surtout quand on n’exerce pas d’activité professionnelle : on lance donc ses filets le plus loin possible. Avec beaucoup on en restera néanmoins à la sociabilité de surface décrite plus haut, car après quelques échanges aucune des deux parties ne manifestera l’envie d’aller plus loin. Avec certaines personnes néanmoins un réel désir d’amitié peut émerger.
C’est alors le grand retour dans la cour du lycée. On s’échange ses coordonnées et on hésite avant d’envoyer un premier message (que l’on modifiera dix fois). On propose un café et on tremble quand on voit que le message est lu mais resté sans réponse. Après ce premier moment d’autres questions vont se poser : faut-il se revoir? A quelle échéance? Doit-on convier le conjoint? Quelle doit être la prochaine invitation (dîner? déjeuner? avec d’autres personnes?)? Après une ou plusieurs propositions poliment déclinées par l’autre on se remet brutalement en question et on craint le ridicule en insistant lourdement. Il faut également accepter les déceptions : lorsque l’on construit une relation aussi rapidement et sur quelques centres d’intérêt esquissés il n’est pas rare de s’apercevoir que l’on a trop peu en commun. Nombre de tentatives d’amitiés s’éteindront ainsi après quelques semaines.
Enfin selon le moment de l’expatriation les relations se nouent différemment. J’ai ainsi eu le sentiment d’être fortement tributaire de ma “fournée d’arrivée”. Les liens se créent plus facilement avec les personnes qui partagent les mêmes préoccupations inquiètes propres aux premiers mois. Ils sont souvent intenses tant la nécessité des amitiés est forte. Ensuite on s’installe dans sa vie, la pression se relâche et on se lasse un peu de retrouver les discussions propres aux nouveaux arrivants. Dans la dernière partie de l’expatriation la volonté de rencontrer d’autres personnes a également tendance à s’émousser. Lors de mon arrivée une femme qui en était à ce stade m’avait confié ne plus vouloir s’investir dans de nouvelles rencontres. J’en avais été très surprise mais finalement j’en suis venue à la comprendre. D’abord on mesure que la plupart des personnes avec qui l’on partage ce quotidien si particulier ne sont pas assez proches pour que le contact se maintienne après le départ : pourquoi alors cultiver des amitiés que l’on sait éphémères? Ensuite après quelques temps il est fréquent d’avoir vécu plusieurs séparations, parfois douloureuses : les expatriés restent rarement plus de quelques années au même endroit ce qui occasionne des départs constants. Ainsi une personne qui était devenue centrale lors de l’installation peut-elle disparaître brutalement. Le refus de nouveau lien devient alors une protection contre le chagrin répété des départs. Il y a ainsi des personnes que j’ai eu le sentiment d’avoir manquées : si nous étions arrivées en même temps nous aurions eu beaucoup à partager mais le rendez-vous n’a pas eu lieu.
Finalement entre les amitiés fusionnelles, presque adolescentes mais parfois fugaces et la sociabilité de surface se tisse tout un tissu social à la fois large et lâche, bien différent de celui de la vie des non expatriés.
Bravo Charlotte,
Ton article traduit parfaitement ce que je ressens.J’ajouterais aussi que outres ces rencontres passagères et un peu superficielles les quelsues amitiés profondes qui se nouent survivent aux départs et aux frontières.J’ai vraiment réalusé cette année après 30 ans hors Belgisue que dans mes vrais amis il y a les amis de toujours:enfance, fac et les autres sont ceux qui ont pas mal voyagé ou sont restés dans le pays :Portugal où j’ai vécu 15 ans. On a ainsi des amis un peu dans tous les ports…que l’on retrouvera régulièrement lors des vogages en été en Europe car eux aussi sont des nomades toujours heureux d’en retrouver d’autres avec qui ils ont partagé de beaux moments.Il suffir de dire je suis à Bruxelles, à Paris ou Toulouse et les rv se gont si vite.
Merci Axelle. J’imagine aisément que maintenir le contact au fil d’expatriation successives n’est pas chose aisée. Mais effectivement des amitiés durables se nouent, le bon côté étant que l’on peut rencontrer des gens qui diffèrent de notre profil sociologique et que nous n’aurions jamais pu croisé en France.